Aujourd’hui, les Français sont en train de voter pour désigner leur nouveau président de la République, avec selon toutes les apparences la victoire de François Hollande.

C’est l’occasion de revenir sur les semaines passées et différentes réactions qu’elles ont fait germer en moi, mais plus généralement dans l’électorat catholique

Que choisit-on ?

On a longuement débattu sur les méfaits de chacun des deux candidats : rejeter l’étranger (ou toutes autres sortes de boucs émissaires : le chômeur, le profiteur des allocs, le musulman, etc.), ou fragiliser le vieillard et le futur nouveau-né ? Certains ont choisi l’abstention, ne pouvant se résoudre à ce choix de Sophie.

D’autres, dont Koz, ont généralement décidé de hiérarchiser les différents poids de la balance, et estimer – la rage au coeur parfois – que le vieillard et l’embryon pesaient plus lourd.

Pourtant l’élection ne va pas désigner le gouvernement, ni même le chef de ce gouvernement : il va décider le président de la République, qui est censé n’être rien d’autre que « le garant des institutions », l’incarnation de l’Etat. Autrement dit, du point de vue constitutionnel, c’est plus une figure institutionnelle que politique.

Certes, Sarkozy a de fait dirigé la politique française depuis 5 ans, mais cela ne signifie pas que son successeur, non plus que les Français en général, soient liés par cette stratégie.

Bien sûr, je suis lucide : le président a le plus souvent un rôle important dans les différentes actions politiques menées en France. Pourtant il n’est rien sans un gouvernement, qui dépend lui-même de l’assemblée.

Bien sûr, on peut penser que si la France vote pour François Hollande, elle lui donnera dans la foulée une majorité législative et donc un gouvernement prêt à appliquer son programme. Pourtant, institutionnellement ce n’est pas inscrit dans le marbre, et un vote n’engage pas l’autre.

Tout ça pour dire qu’un catholique peut ne pas mériter d’être voué aux gémonies par son curé pour avoir voté à gauche aux présidentielles : il a désigné celui qui lui semble le plus à même de représenter la France, pas celui qui va la gouverner.

Pourquoi les catholiques sont-ils si peu à gauche ?

J’ai entendu et lu cette question de manière récurrente. La dernière en date ici : « Il me semble que le Christ prônait la modestie, la générosité, la compassion (notamment envers les pauvres et les vagabonds), la méfiance envers les richesses terrestres et repoussait les « marchands du temple ». Il me semble également que la présidence de Nicolas Sarkozy se basait sur d’autres principes. »

Au passage : cette remarque sur le fait que « le Christ était plutôt de gauche » vient plutôt de gens de gauche, qui ne sont généralement pas chrétiens.

Maintenant, imaginons un homme qui se dit de droite, mais qui ira dire à l’UMP : « Il faut accepter le mariage homo, l’euthanasie et le mariage homosexuel ». Je doute fortement que l’UMP lui répondra : si vous affirmez ça, vous n’êtes pas de droite ». En réalité, si l’homme prône par ailleurs le libre échange, la responsabilisation, la diminution des aides sociales ou le « vrai travail », il sera le bienvenu avec ses désaccords.

Maintenant, voyez ce qui se passe avec des gens qui se disent de gauche mais par ailleurs demandent une politique moins favorable à l’avortement, à une mise en équivalence du mariage homosexuel, et à l’euthanasie. Ces gens sont les Poissons roses. Et vous pouvez lire ici (blog de Sébastien Gros) ou là (article de Rue89) ce qu’en disent d’autres gens de gauche (commentaires sur Rue89) :

  • C’est pas demain que je les appellerais « camarades ».
  • cathos de gauche j aime pas trop , c est comme anarchomodem difficile à cerner.
  • Mes parents étaient des cathos de gauche. Ils ont fini par comprendre qu’il fallait être soi catho soi de gauche. Les personnages décrits dans cet article sont les idiots utiles d’une église catholique irrémédiablement de droite.
  • Ca sent plutôt les évangélistes tant sur le discours que sur le symbole,
    Ces gens sont de vrais danger pour la république, il vaudrait mieux ne pas les laisser infiltrer le PS
  • Et ça ressemble aussi à une grand cellule de soutien psychologique : enfant trisomique ? Vieux parent à la maison ? Libido pressante ? Ne vous inquiétez pas, on va vous envoyer quelqu’un qui va vous parler et tout ira bien après.

Autrement dit : les catholiques ont du mal à être de gauche parce que la gauche se définit elle-même à la fois sur les choix sociaux (redistribution des richesses) et sociétaux (euthanasie, avortement, mariage homosexuel). Donc elle ne veut pas de ces gens qui se prétendent de gauche mais n’adhèrent pas à la deuxième partie.

Résultat : on se retrouve à droite sans adhérer à la vision économique de la droite…

Du vote au choix, en passant par la liberté

Les commentateurs sur Rue89 dénonçaient une hypocrisie du discours des Poissons Roses. Pour ma part, j’y ai trouvé une démarche intéressante : plutôt que d’écrire « Nous sommes contre l’avortement », ils disent « Nous voulons faire en sorte que la jeune fille enceinte ait la possibilité de garder son enfant si elle le souhaite ».

Décryptant aisément ce qui serait le message d’une Eglise catholique rétrograde, conservatrice, et pro-life, les commentateurs réclament : « Dites carrément que vous êtes contre l’avortement, ce sera plus honnête. »

Pourtant la question mérite qu’on s’y arrête.

Toute la dialectique de la gauche aujourd’hui porte sur la liberté, la possibilité du choix de chacun d’être maître de sa vie : ainsi le vieillard se sentant décrépir, perdre toute « dignité », devrait avoir la possibilité de choisir de mourir.

De même, la jeune fille de 15 ans vivant dans une famille nourrie au RSA, n’ayant pas les moyens de garder son bébé, doit pouvoir choisir de demander une IVG.

C’est tout le sens de cette promesse du « droit à mourir dans la dignité » : choisir.

Pourtant il n’y a de choix que s’il s’exerce en toute liberté.

Où est la liberté de la personne âgée qui se sent à charge, qui a le sentiment de « ne plus servir à rien » et qu’elle pèse sur sa famille comme le cafard de Kafka pesait sur la sienne ?
(je n’avais jamais pensé à La Métamorphose comme grille de lecture possible sur la question de l’euthanasie avant d’écouter tout récemment sur France Culture une émission  dont je ne retrouve pas trace).

Où est la liberté de la jeune fille qui demande l’avortement parce que de toute façon — il n’est pas possible de le garder ?

Le discours des Poissons Roses propose (il me semble) non pas d’interdire l’avortement mais de donner les conditions possibles d’un choix réel aux personnes qui envisagent d’y avoir recours.

Sur l’euthanasie (pardon : le droit de mourir dans la dignité), le propos est un peu différent puisque la loi n’est pas encore passée : mais la démarche me semble la même. Pour qu’une personne âgée, infirme ou diminuée, puisse poser un choix, encore doit-elle se sentir accompagnée, aimée, chérie.

J’ai été terrifié par un des commentateurs de Rue89 :

Ils sont contre l’euthanasie : « Les personnes en fin de vie, même malades, sont une richesse pour la collectivité.
ils sont complètement barges tu veux dire

Donc une personne en fin de vie, paraplégique par exemple, aura en face d’elle une personne considérant qu’elle n’est pas une richesse pour la collectivité. Bien sûr qu’elle demandera à mourir. Où sera son choix ? Où sera sa liberté ?

Je précise au passage que je n’ai pas de commentaire à faire sur la question de l’homosexualité au sein de l’Église : elle n’a à ce jour pas un discours satisfaisant à proposer pour justifier sa position. Par « discours satisfaisant », j’entends un discours qu’un homosexuel, qui souhaite se marier et adopter des enfants, soit prêt à entendre.

Le précédent billet, l’émission qu’il évoque et le salutaire commentaire qu’il a provoqué, me donnent encore beaucoup à penser.

Dans les propos de Mme Lacroix-Riz, durant l’émission, la question des motivations m’a singulièrement frustré : pourquoi le Vatican s’est-il lancé dans une entreprise de sauvetage des anciens nazis ? quel intérêt y a-t-il trouvé ? en quoi cela pouvait-il correspondre à ses missions ou à ses intérêts ?

Mme Lacroix-Riz y répond en partie par : les Etats-Unis payaient pour cela (le lien entre la sauvegarde des intérêts américains pour les capitaux placés en Allemagne, et l’expatriation organisée des nazis, m’échappe encore un peu). J’avoue que je ne suis pas pleinement satisfait de cette explication, qui me semble insuffisante.

En revanche j’ai appris, grâce à Mme Lacroix-Riz, que dès l’été 1941 (avec une clairvoyance étonnante, d’ailleurs, puisqu’à cette date l’attaque de Pearl Harbor n’a pas eu lieu et les Américains ne sont pas vraiment entrés en guerre — et la bataille de Moscou n’a pas commencé), le Vatican, pressentant la fin de la guerre et la défaite des Allemands, commence à tisser des réseaux, via la Croatie, pour préparer l’expatriation des nazis à la fin de la guerre, comme cela avait également été fait en 1917-1918, pour ces mêmes Allemands, à l’issue de la première Guerre mondiale.

J’ignore si, en dehors de 1918 et 1945, le Vatican s’est illustré par d’autres organisations de filières d’exil, mais si je comprends bien, en 1941-1942 il renoue avec une tradition de sauvetage des vaincus. Cela, je le comprends mieux : sauver les vaincus d’une « justice de vainqueurs » (l’association des deux termes laisse dubitatif).

Ceci est pure extrapolation de mon cerveau — je le précise — mais je n’ai pas grand mal à imaginer le Vatican souhaitant jouer un rôle, en 1918 comme en 1941, pour soustraire des vaincus à ce qui ressemblerait davantage à une vengeance qu’à une justice.

D’où mise en place de filières pour en faire bénéficier les Allemands.

Certes, ceux de 1945 ne sont pas ceux de 1918 : ce sont des criminels de guerre, des criminels contre l’Humanité. Mais en 1941-1942, le crime de guerre n’existe pas : ce concept (et l’autre) seront élaborés lors des procès de Nuremberg, en 1945. Les Allemands qu’on se prépare à sauver sont certainement un peuple en guerre — comme le sont ceux d’en face — ils ont certainement tué des gens (moins qu’en 1914-1918, d’ailleurs), mais si vous partez du principe qu’une justice de vainqueurs n’est pas une justice, et justifie qu’on s’efforce de soustraire ceux qui risquent d’en être les victimes, cela se comprend mieux.

Donc mise en place de filières pendant la guerre.

Arrive 1945. Les Allemands fuient, certains s’adressent auxdites filières. Parmi eux, il y d’authentiques soldats (tous ne sont pas des « criminels de guerre » tels que l’histoire a ensuite défini ce crime), et d’autres non. A condition d’avoir eu une connaissance complète du dossier (les camps, etc.), il aurait fallu choisir entre :

  1. fermer complètement les filières
    éventuellement en remettant en cause le principe même selon lequel les vaincus ne méritaient pas de subir la justice des vainqueurs
  2. instruire un dossier sur chaque personne qui demandait à en bénéficier, pour distinguer le « bon grain » de l’ivraie
    oui, le bon grain désigne là des meurtriers, en temps de guerre

Revenons un peu sur terre. J’ai extrapolé, j’en conviens. Je n’ai fait aucune recherche approfondie (pour l’instant), contrairement à l’invitation de Modeste Im-Pie. Inutile de débattre sur les intentions que j’attribue aux uns et aux autres.

Ce qu’il reste principalement, en terme de faits, c’est :

  1. en 1941, l’Église ne projette que de refaire ce qu’elle a déjà fait en 1918 (et, pour ce que j’en sais, personne ne lui a reproché ces aides à l’exil de 1918)
  2. lorsque s’organisent ces filières, le crime de guerre n’a pas d’existence juridique, et surtout conceptuelle : on a des pays en guerre, des soldats qui se tuent mutuellement. Sauver les vaincus de la toute-puissance des vainqueurs n’est pas en soi une mauvaise idée.

N’est-ce pas une intéressante remise en perspective ?

Je ne suis pas en train de prétendre que le Vatican a eu raison de permettre ainsi aux nazis de fuir la justice internationale. Je me demande simplement si, le faisait, il montrait réellement par là être corrompu jusqu’à la moëlle par une sorte d’esprit du Mal.

Sur France Culture, le dimanche matin, c’est religion : c’est l’occasion d’entendre parler, témoigner, enseigner, des orthodoxes, des protestants, des Juifs. Le temps dévolu aux catholiques est la messe, à 10 h.

Il m’arrive souvent d’ouvrir la radio avant 10 h pour écouter les représentants d’autres religions parler de leur vie spirituelle et délivrer leurs enseignements. Avant toute tentative de syncrétisme et œcuménisme, c’est le désir de mieux connaître ceux qui sont différents de moi, qui m’y incite.

Au milieu de tout cela s’insère la partie Divers aspects de la pensée contemporaine, qui, dans son contexte (entre « l’émission juive » et « l’émission catholique ») se présente plus comme de la pensée athée (franc-maçonnerie, etc.) que comme une simple émission de philosophie.

Notons au passage que la notion d’athéisme s’inscrit donc comme un courant religieux à part entière, ou plutôt comme une prise de position sur la question de l’existence de Dieu.
Pourtant les athées ont généralement du mal à se situer sur le même plan que les Juifs, les musulmans ou les catholiques : pour eux il y aurait plutôt le groupe des croyants d’un côté, et eux de l’autre.

Mais pourquoi pas ? Pourquoi ne pas laisser la parole à des penseurs athées juste avant la messe, pour expliquer leur propre chemin de vie.
Sauf que ce matin le dossier traité avait quelque chose d’extrêmement pernicieux. Le dossier portait sur la libre pensée, et une historienne, Annie Lacroix-Riz, était invitée pour parler du rôle du Vatican dans le sauvetage des criminels de guerre en 1945.

J’ai une fâcheuse tendance à penser qu’à 9h45, le dimanche matin, ce sont majoritairement des catholiques qui ouvrent la radio pour ne pas rater le début de la messe. Et c’est donc à eux que s’adressait cette émission parlant des ténèbres du Vatican.

Soyons précis : je ne souhaite pas d’enterrer des dossiers nauséabonds dans l’histoire de l’Eglise. Mais les aborder dans les minutes qui précèdent la messe, je trouve cela agressif. Imaginez de l’enterrement d’un grand-père odieux, tout le monde en profite pour étaler ses rancœurs au micro pendant la cérémonie. Les rancœurs justifiées doivent pouvoir trouver un terrain d’expression — mais pas à ce moment-là.

Ensuite, au milieu d’émissions religieuses, cette historienne (communiste — mais ce n’est pas un reproche ! au contraire : ça l’inscrit bien dans les interventions franc-maçonnes et autres. Mai cela aurait pu être dit pendant l’émission), cette historienne, donc, arrive avec des faits, donc avec une vérité historique que les auditeurs n’étaient pas en mesure de contester.
La nature de son discours pose question : est-elle là avec une objectivité historiciste, ou avec la volonté de dénoncer quelque chose ?

Le sujet lui-même (Vatican et IIIe Reich), fortement controversé, aurait dû donner lieu à une controverse (avec d’autres historiens) ou se passer à un autre moment de la journée. Ou les deux, d’ailleurs.

N’étant pas spécialiste de la période, je suis dans l’incapacité de critiquer les faits qu’elle a pu énoncer. En revanche je tiens à critiquer la manière qu’elle a eu de les mettre en perspectives.

Ainsi, elle évoque le rôle de la Croatie comme Etat-pivot parfait pour la politique vaticane en faveur du IIIe Reich. Et elle mentionne en particulier le rôle de l’archevêque de Zagreb, Mgr Stepinac, qui, à l’entendre, aurait co-organisé l’élimination de centaines de milliers de juifs, en accord avec le n°1 du régime, Ante Pavelić.

Il s’agit de sauver les criminels de guerre […] et pas seulement les Allemands. […] Je pense en particulier au cas de la Croatie.
La Croatie, c’est l’Etat oustachi, c’est-à-dire un Etat qui est peut-être l’Etat idéal du Vatican puisque le mouvement oustachi s’est constitué en Yougoslavie, en l’occurrence en Croatie, dès 1929, et en liaison étroite à toutes les étapes avec le Vatican. Or cet Etat chéri est un Etat criminel, d’une criminalité qui bat à peu près tous les records puisque […] dans les six premiers mois [après son installation, en 1941, par les nazis], il a déjà liquidé à peu près 600.000 Serbes, un nombre aussi considérable de Juifs, et c’est l’Etat chéri du Vatican [bis repetita], dirigé d’une part par Ante Pavelić, d’autre part — car c’est le deuxième personnage de l’Etat — par Stepinac, l’archevêque de Zagreb, que d’ailleurs […] Jean-Paul II a béatifié avant de le canoniser en 1998.

Cela fait beaucoup de coups de massue juste avant la messe dominicale, j’espère que vous en conviendrez.

Donc je suis allé faire un petit tour rapide sur Wikipedia, et j’y constate :

  1. dans l’article Etat indépendant de Croatie, Pavelic est bien mentionné, mais Stepinac pas du tout
  2. dans l’article consacré à l’archevêque, on comprend fort bien que Stepinac était pour une indépendance de la Croatie, estimant que les peuples croate et serbe étaient trop différents l’un de l’autre pour réussir à vivre ensemble, mais qu’il a ensuite condamné les massacres.

Ce deuxième article Wikipedia s’appuie sur un article de Finkelkraut (1998) pour reprendre la citation suivante :

« Tous les hommes et toutes les races sont des enfants de Dieu ; tous sans distinction. Ceux qui sont Gitans, Noirs, Européens ou Aryens ont le même droit de dire Notre père qui êtes aux cieux. Pour cette raison, l’Église catholique a toujours condamné, et condamne toujours, toute injustice et violence au nom des théories de classe, de race ou de nationalité. Il n’est pas possible de persécuter les Gitans et les Juifs parce qu’ils sont supposés être de race inférieure » (homélie de Mgr Stepinac, 24/10/1942)

Il mentionne également que « le Dr. Amiel Shomrony, alias Emil Schwartz, secrétaire personnel de Miroslav Šalom Freiberger, grand rabbin de Zagreb jusqu’à en 1942, a déclaré ultérieurement qu’il considérait que Mgr Stepinac avait fait de son mieux pour les Juifs pendant la Guerre. »

Enfin, l’article se prolonge sur les persécutions contre l’Église catholique lors du régime communiste de Tito mis en place après la deuxième guerre mondiale. Il est fort probable que le polonais Jean-Paul II a été particulièrement sensible à cette deuxième partie de sa vie.

Ce qu’il faut bien comprendre également dans les cas de béatification/canonisation (et je parle plus généralement, en abandonnant le seul cas de Mgr Stepinac), c’est que la possibilité de la rédemption après un passé damnable, peut être intégrée dans la validité d’une canonisation. Oui, un criminel de guerre peut se convertir, regretter amèrement son passé et être accueilli par Dieu au jour de sa mort — c’est un des principaux messages délivrés par Jésus, aussi déplaisant cela nous soit-il.

Mais pour en revenir à l’émission faite avec Annie Lacroix-Riz, je ne conteste pas les faits énoncés. Mais sa manière de les formuler laissait entendre qu’il n’y avait aucun doute sur la culpabilité de tout ce petit monde. Or l’article Wikipedia — et on peut évidemment contester son contenu ! — atteste que tout le monde n’est pas d’accord, et que les propos tenus sur France Culture étaient bien un certain éclairage sur le passé de l’Église catholique, éclairage donné par une personne manifestement hostile à l’Église catholique, sans ce cela ait été dit à aucun moment.

Ce contexte en vient à invalider toute l’émission, tout le contenu de l’émission, dont j’ai envie de contester l’objectivité d’un bout à l’autre. C’est dommage !

La béatification de Jean-Paul II est l’occasion de s’intéresser un peu à la sainteté. On pourrait parler de ce qu’elle est exactement (par exemple : un vivant peut-il être « saint » ? Juge-t-on de la sainteté d’un pape sur ses mérites comme chef de l’Eglise, avec un bilan de son action, ou comme « simple » croyant ? etc.).

Mais finalement non. Parlons juste de la prière et des saints.

Cela fait partie des reproches redondants faits par les protestants aux catholiques, et est souvent mal compris des catholiques eux-mêmes. On ne prie pas les saints : on les « sollicite » pour qu’ils intercèdent pour nous.

C’est tout à fait flagrant dans les deux prières les plus fréquentes adressées à des saints :

  • Je vous salue Marie, où il est dit : « Priez pour nous, pauvres pêcheurs »
  • La litanie des saints, qui récite : « Saint(e) XXX, priez pour nous »

Ces textes ne disent jamais « Sainte Marie, nous te prions », par exemple. La prière s’adresse à Dieu seul (dans sa Trinité…). En revanche nous ne prions pas seuls.

On se sent souvent trop petit, trop faible, trop mécréant pour prier. Que vaut notre pauvre prière dans l’immensité des problèmes de l’humanité ? (elle vaut beaucoup, en réalité, mais nous n’en sommes pas toujours convaincus). Face à ce sentiment d’impuissance, de petitesse, nous avons recours à la prière des autres : en récitant la prière de grands croyants (celle de Charles de Foucauld, par exemple), en lisant un psaume.

Ou bien nous demandons à des amis, des proches, des parents, de prier pour nous, avec nous. Cette solidarité admirable de la prière fait partie des grands mystères de la Création, et constitue un signe que nous ne sommes pas seuls au monde.

Etre convaincu, pas forcément de l’efficacité, mais de l’importance de ces prières faites par autrui pour vous, c’est déjà avoir fait la majeure partie du chemin pour comprendre la prière avec les saints.

La vie se continuant après la mort-passage, comment ne pas souhaiter dire à ses proches, comme Thérèse de Lisieux : « je ferai pleuvoir sur vous une pluie de grâces. »

Pour plus de détails techniques, je vous renvoie aussi aux articles Wikipedia Dulie (redirection depuis la recherche « Culte des saints »), Latrie (correspondant au « culte de Dieu »). Les articles anglais équivalents sont peut-être plus explicites, distinguant :

Ce sont effectivement des termes techniques, difficilement signifiants dans notre quotidien. Mais l’existence de deux termes distincts permet au moins de comprendre que l’on ne saurait reprocher les catholiques de mettre sur le même plan Dieu et les saints.

A noter en particulier, la page Dulie confirme que la seule forme de « prière » est bien une prière d’intercession, par laquelle on demande au saint (vivant en Dieu) de prier pour nous.

Voyez encore un autre exemple : cette prière à Dieu par l’intercession de Jean-Paul II, justement.

Ô Sainte Trinité, nous te rendons grâce pour avoir fait don à ton Église du pape Jean-Paul II et magnifié en lui la tendresse de ta Paternité, la gloire de la croix du Christ et la splendeur de l’Esprit d’Amour.

Par son abandon sans condition à ta miséricorde infinie et l’intercession maternelle de Marie, il nous a donné une image vivante de Jésus Bon Pasteur, et nous a indiqué la sainteté, dimension sublime de la vie chrétienne ordinaire et voie unique pour rejoindre la communion éternelle avec Toi.

Par son intercession, accorde-nous, selon ta volonté, la grâce que nous implorons…
animés du vif espoir qu’il soit élevé au plus tôt à l’honneur des autels. Amen.

J’ai de nombreuses fois entendu : « Mieux vaut s’adresser à Dieu [au grand patron] qu’à ses saints ». Voyez que cette prière (car toute demande d’intercession est elle-même une prière, donc un moment que l’esprit et le coeur consacrent à Dieu) s’adresse bel et bien à Dieu.

Il y a quelques semaines, France Culture a annulé brutalement la rediffusion des conférences de Carême données chaque année (et diffusées chaque année) à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Les conférences de Carême sont des moment forts dans l’année liturgique, de catéchèse pour adultes, permettant à des catholiques de tous « niveaux » de pratique d’approfondir leur foi, de se former, sans forcément s’impliquer dans un groupe actif et structuré sur leur paroisse (le genre de choses qui fait peur, parfois…).

Leur rediffusion sur France Culture existe depuis 1946. L’annulation de ces diffusion est motivée par la crainte, brutalement apparue, de voir des représentants d’autres religions réclamer la même chose à leur tour, au nom de l’égalité de traitement des cultes dans un État laïque.

A la différence de 1946, n’importe quel catholique peut tout de même, grâce à Internet, accéder à ces conférences sans avoir à se rendre à Paris tous les dimanche de Carême, soit au texte, soit en direct sur Radio Notre-Dame.

Quel lien avec Jacques Chancel ?

Ce matin, il est l’invité de France Culture, et en réaction à une chronique d’Alain-Gérard Slama portant sur les conditions privilégiées de concours données à des étudiants juifs (décision finalement annulée), il déclare être d’accord avec le journaliste qui réclamait que des autorités juives, et/ou des personnalités des médias connues comme juives, prennent fermement et publiquement position contre de telles traitements de faveur, à destination d’une population d’ultras non représentatifs de la communauté juive française.

Et Jacques Chancel acquiesce, en ajoutant que, « de même que les musulmans ne condamnent jamais les terroristes… »

Pourtant… (et ce n’est qu’un exemple)

Donc

  1. les conférences de Carême sont toujours accessibles, mais désormais diffusées exclusivement sur des médias confessionnels
  2. Jacques Chancel ne lit pas la presse musulmane, les sites à destination de la communauté musulmane de France (oumma.com, saphirnews, etc.)
  3. les journalistes, intellectuels, représentants, d’une certaine manière les porte-parole de la communauté musulmane ne sont pas « invités » dans les médias non confessionnels, les médias nationaux traditionnels pour exprimer qu’ils sont français comme le reste de la population

En excluant l’expression religieuse des canaux de communications « normaux », on ne lui permet d’être diffusée que dans des médias que seule leur propre communauté consulte. Ceux qui n’en font pas partie n’en prennent pas connaissance, et ne s’en font une opinion que sur la base de ce qui leur est dit dans ces canaux normaux, par des personnes qui n’en font pas partie.

Bref, il aurait fallu continuer la diffusion des conférences de Carême sur France Culture. Et si des membres du Conseil français du Culte musulman, ou des recteurs de mosquées de grandes villes, venaient solliciter une possibilité équivalente (si tant est que, comme le rappelle d’ailleurs Mgr Vingt-Trois, une telle équivalence existe), il ne serait sans doute pas inintéressant, pour Jacques Chancel et pour bon nombre d’autres Français non-musulmans, de la leur accorder.

Il touche presque à sa fin, et cela n’a plus trop de sens d’écrire un billet là-dessus. Mais tout de même, au pire j’y repenserai l’année prochaine, et je saurai alors mieux expliquer ma démarche.

Chaque entrée en Carême est l’occasion de se demander à quoi ça sert. Et c’est une très bonne chose : car chaque année j’approfondis la compréhension de cette merveilleuse démarche (et je me réjouis d’avance de découvrir ainsi d’autres choses dans un an).

Cette année, je ne sais pourquoi, l’interpellation m’est venue conjointement du web et de la radio, sous la forme : « les protestants ne font pas le Carême :  pourquoi se limiter à faire des efforts 40 jours par an ? C’est toute l’année qu’il faut en faire. »

C’est parfaitement vrai : c’est toute l’année que nous devons nous efforcer de progresser vers la sainteté et vers le Père. Mais formuler cette objection au Carême, c’est croire que les « efforts » sont un objectif du Carême. C’est faux : ce sont des moyens.

Peu de fêtes catholiques sont ainsi précédées d’un temps de préparation : Noël, avec l’Avent — et Pâques, avec le Carême. Pour une raison bien simple : parce que c’est vraiment dommage d’arriver comme une fleur le dimanche de Pâques sans avoir pris le temps de méditer ce profond et magnifique mystère de la Résurrection.

Venir simplement à la messe de Pâques, ou se préparer à cette fête 40 jours à l’avance représente une différence bien plus considérable que de venir à la messe « ordinaire » en ayant lu au préalable les textes liturgiques, ou sans les avoir lus.

Bref, ces « efforts de Carême » sont là uniquement pour nous aider à tendre notre esprit vers la Résurrection. C’est un temps de méditation et de préparation spirituelles.

La question est donc : comment se préparer au mieux à une telle fête ? Comment, en dépit du quotidien qui nous harcèle, nous sollicite, nous divertit ou nous passionne, vivre en plus ce temps de préparation ? En essayant de s’en dépouiller un peu, d’y renoncer, pour faire un acte de volonté qui montre quelles sont ou devraient être les priorités.

L’Eglise nous propose des « outils » que les siècles ont validé par l’expérience des chrétiens qui les ont pratiqués. Il est évidemment possible, et souhaitable, à chacun, de suivre sa propre démarche, en réfléchissant à son cas personnel, à ses dépendances propres, etc. Mais il me semble que c’est un signe fort d’humilité d’accepter aussi, malgré des réticences naturelles, malgré un manque de conviction possible, ces moyens traditionnels : le jeûne, la charité (le don aux pauvres) et la prière.

Et je me permets de reproduire ici la citation de John Newman donnée sur ce billet :

Changer nos coeurs signifie d’apprendre à aimer des choses que nous n’aimons pas spontanément – et désapprendre l’amour de ce monde, ce qui suppose d’aller à l’encontre de nos désirs et goûts naturels. Être juste et obéissant nécessite la maîtrise de soi. Pour la posséder, nous devons la conquérir, et nous ne pouvons la conquérir sans une lutte continue contre soi-même. Le fait même d’être religieux implique le renoncement à soi, car nous n’aimons pas spontanément la religion. […]

Qu’est ce que jeûner, sinon s’abstenir de ce à quoi nous pouvons légitimement prétendre ; pas simplement de ce qui nous pousse au péché, mais aussi des choses innocentes ? De ce pain que nous pourrions légitimement prendre et manger avec reconnaissance, mais qu’à certains moments nous nous refusons, comme renoncement à soi. Voici ce qu’est le renoncement à soi pour le chrétien : pas une simple mortification du péché, mais une abstinence, même des bénédictions de Dieu.

Donc oui, je suis d’accord avec les protestants : c’est toute l’année qu’il faut s’efforcer d’être bon. Mais se préparer à Pâques toute l’année ?

Mon précédent billet était confus, révélateur sans doute d’une difficulté de ma part à comprendre, non pas le sentiment de citadelle assiégé de certains coreligionnaires, mais de mon propre état.

Je pense avoir posé une nouvelle pierre dans cette compréhension.

Je crois que les catholiques français d’aujourd’hui ont le sentiment d’être dans un Etat de tradition chrétienne, où la spiritualité et la religiosité sont progressivement grignotés.

Je considère pour ma part, au regard de l’ignorance complète des personnes que je fréquente vis-à-vis de la religion chrétienne et de l’Eglise catholique, que nous sommes dans un pays athée mais largement bienveillant, et que je suis membre d’une religion minoritaire.

L’histoire de la France est sans doute catholique (le nombre des églises en témoigne), mais nos contemporains ne sont pas dépositaires de cette mémoire. Et ce n’est pas que strictement religieux : si le Tétramorphe est une question au concours d’entrée de l’Ecole du Louvre (quel animal représente saint Marc ? qui est l’aigle ? est-ce un ange ou un homme ?), c’est que l’aspect culturel strict est perdu.

Reste évidemment un terreau, des valeurs morales communes, etc. Ma problématique n’est pas de savoir ce qu’il reste du passé chrétien chez les Français d’aujourd’hui, mais comment un catholique de nos jours doit considérer la société française pour grandir en son sein.

Et il m’apparaît évident qu’il est plus fructueux, pour tous, qu’il se considère simplement comme minoritaire, non représentatif — et non comme un fils spolié de son héritage.

Nous ne sommes alors plus dans une citadelle assiégée (dont nous préserverions les derniers trésors), mais dans une terre de mission. Nous ne sommes plus martyrs, nous sommes apôtres. Belle mission que Dieu nous confie là !

Il y a a des frémissements d’inquiétude croissants autour de moi, dans la communauté catholique : église profanée à Avignon, crèche interdite en Picardie, paroles du Petit papa Noël de Tino Rossi tronquées, etc.

J’aurai du mal à répondre point par point aux réactions que je lis face à ces événements dans le monde catholique. Je constate surtout que je n’arrive pas, pour ma part à pariciper à cette angoisse montante. Pourquoi ?

Parce qu’en tant que chrétien, je ne peux être que témoin d’une espérance, pas d’une inquiétude. Je n’arrive pas à me défaire d’une certaine confiance.

Exemple : la paroisse Saint-Jean d’Avignon est profanée, constamment, depuis des semaines. Quand je l’apprends, j’avoue que je ne vois pas quel genre de solution va en sortir — et ça me semble insupportable, intolérable. Le 23 novembre, le curé « sort du silence ». Au coeur d’un projet pour l’avenir, la création d’une « association de représentants de toutes les religions ».

Je ne me fais pas non plus d’illusions : cela ne résoudra ni immédiatement les problèmes sur place, ni forcément complètement les actes de vandalisme. Pourtant j’y vois, je ne peux m’empêcher d’y voir, l’action de l’Esprit. Cet espace de dialogue entre les communautés, il a fallu une année de profanations pour envisager de le construire. Pourquoi n’existe-t-il pas déjà, partout ailleurs ?

Pourquoi n’existe-t-il pas déjà, non pas pour précéder les problèmes, mais pour faire grandir l’espérance et la charité ? Car cet espace de dialogue ne va pas entraîner des conversions (dans un sens ou dans l’autre), mais avant tout une meilleure connaissance d’autrui, un respect plus grand, un accroissement de la charité sur cette terre.

Il paraît que l’on ne parle pas du tout dans les médias de ces profanations. Ce n’est sans doute pas faux : les médias, la société en général, entretient la vision d’une Eglise toute puissante (et castratrice, naturellement). Mais il est faux de dire que, s’il s’était agi d’une mosquée ou d’une synagogue, les médias s’en seraient repus : qui a entendu parler de la profanation de la mosquée de Roanne ?  (recherche Google au 19 décembre sur « profanations église Avignon » : 27.000 résultats. 6800 pour « profanation mosquée Roanne« )

Sur la crèche payée par la municipalité, interdite par le juge : oui, c’est une vision qui me semble étriquée, absurde, de la laïcité. En l’espèce, l’Etat (ou la municipalité) ne subventionne aucune religion, aucun culte — les artisans qui fabriquent les crèches ne sont pas des moines, ce sont des artisans, et pas forcément chrétiens (les artisans chrétiens sont rares : ceux qui, de nos jours, reçoivent des commandes de tympans ou de vitraux le sont de moins en moins).

Mais je refuse d’argumenter, comme d’autres, sur le fait que c’est notre culture que l’on nie, que l’on bafoue, que l’on rejette. D’abord parce que ma culture, aussi précieuse soit-elle, aussi constitutive soit-elle de mon être, ne conditionne pas ma relation à Dieu : la foi chrétienne peut exister dans toutes les cultures, y compris celles qui n’ont jamais connu de crèches (les crèches ne sont apparues « que » au XIIIe siècle). Et il me semble, que, pour un chrétien, argumenter sur la culture, c’est entrer dans l’argumentaire de l’athée.

Pour nous, il ne s’agit pas, il ne doit pas s’agir de culture, mais de foi.

Il y a fort longtemps, le refrain de « Il est né le divin enfant » disait : « Jouez hautbois, résonnez musettes », et non pas (comme aujourd’hui) : « Jour de fête aujourd’hui sur terre ». Puis la musette étant devenu un objet inconnu, on a appris aux enfants de nouvelles paroles (les anciennes perdurent d’ailleurs courageusement).

Aujourd’hui on enlève l’allusion aux prières dans Petit Papa Noël — qui n’est pas un chant religieux. Associer d’ailleurs dans un même chant le père Noël et les prières me semble extrêmement risqué… confondant pour les enfants qui sont déjà plus que tentés de tout demander au père Noël (y compris dans leurs prières).

Voici les paroles désormais escamotées (paraît-il) :

A genoux les petits enfants
Avant de fermer les paupières
Font une dernière prière
Petit Papa Noël
Quand tu descendras du ciel
Avec tes jouets par milliers
N’oublie pas mon petit soulier

Autrement dit, « Petit Papa Noël » est le contenu même de leur prière. Et certains s’émeuvent de la disparition de cette « prière »-là ?

Non, décidément, je ne m’en inquièterai pas.

Je ne reste pas non plus les bras croisés : j’écris (sur ce blog, pas assez, certes), je témoigne. J’espère.

Dieu vient

La semaine dernière, le curé lors de son homélie a évoqué les fameux propos du pape prononcé en français, et ressemblant fortement à une allusion à la politique d’immigration du gouvernement français concernant les Roms.

Les réactions autour de moi étaient dignes des commentateurs du Figaro : « Est-ce qu’au moins il en prend dans son presbytère ? Il n’a qu’à commencer lui-même ! » De bons catholiques bien pratiquants, réagissent à peu près comme ce commentateur chez Koz.

Je pourrais revenir sur les arguments de ce dernier concernant les prétendues richesses de l’Eglise (rappelons qu’elle ne possède quasiment plus rien depuis 1905, et que le nombre actel de donateurs le dimanche n’est pas énorme) ou du Vatican (ce n’est pas le Pape qui a décidé de réduire la taille des Etats pontificaux qui, au XIXe siècle, auraient après tout pu contenir 12000 Roms sans difficulté).

Mais là n’est pas le coeur du problème. Le coeur, c’est la mission même de l’Eglise catholique. L’Eglise n’a pas vocation à prendre en charge tous les maux de la terre : si elle assume des missions sociales, c’est naturellement pour être en adéquation avec le message qu’elle porte. Mais si l’Eglise a été créée par le Christ (Marc, XVI, 15), c’est pour prêcher la Bonne nouvelle. La mission de l’Eglise est de transmettre le message évangélique, afin de permettre à chacun d’être sauvé, c’est à dire de rejoindre le sein de Dieu après sa mort.

Le contenu de ce message, c’est à la fois les propos de Jésus, et sa vie elle-même (ainsi que sa mort et sa résurrection, naturellement).

La raison d’être de l’Eglise, c’est la conversion de chaque être humain pour qu’il laisse entrer Dieu dans sa vie.

Imaginons

Imaginons une Eglise possédant de vastes biens, des richesses inépuisables, et qui dise à l’Etat français : « vous avez des problèmes avec les Roms ? Aucun problème, envoyez-les nous ! »

Les Roms sont alors envoyés dans les terres de l’Eglise pour y vivre tranquillement. Le problème disparaît pour l’Etat français. Mais le coeur de ses habitants a-t-il changé ? Ont-ils transformé leur regard sur ces populations ? Se sont-ils convertis pour accueillir l’autre comme ils devraient accueillir le Christ (Matthieu, XXV, 31 et suivants) ?

Non. Donc l’Eglise aurait failli à sa mission.

Bien sûr que chaque chrétien, pour être en accord avec la foi qu’il professe, doit accueillir (accueillir ne signifie pas forcément assister) l’autre, fût-il pauvre et étranger, et surtout s’il l’est.

Que nous dit l’Eglise aujourd’hui ? Que pour trouver une solution à ce genre de questions (comme l’immigration), il faut commencer par aimer l’autre, par laisser Dieu nous remplir de son amour, pour ensuite chercher une solution, bénéfique (ou la moins pire) pour tous. Cette solution « la moins pire » ne sera pas forcément héberger et assister financièrement des populations pauvres, car alors on risquerait de les maintenir dans un état de dépendance non profitable à leur épanouissement.

Accueillir, c’est commencer par changer son cœur, pour ensuite considérer l’autre non comme un problème social à résoudre, mais comme une personne à aimer et à accompagner sur son chemin vers Dieu. « Comme une personne », cette reformulation permet par exemple de se poser la question de l’éducation de ces populations.

Dieu ne résout pas nos problèmes à notre place (tous les jours, on peut rêver qu’il nous envoie de la manne, nourriture tombée du ciel, comme il l’a fait pour les Hébreux dans le désert (Exode, XVI, 31). S’il le faisait, il entraverait notre liberté. En revanche il nous donne le Nord : « Soyez parfait comme votre père céleste est parfait » (Matthieu, V, 48), ou « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean, XIII, 34).

De même, l’Eglise n’a pas à résoudre nos problèmes à notre place, ce n’est pas sa mission. En revanche chaque chrétien se doit de mettre ses actes en adéquation avec sa foi. Donc chaque membre de l’Eglise, soit personnellement, soit au sein de structures, doit ou devrait œuvrer dans ce sens.

Mais la première priorité n’est pas de descendre dans la rue pour aller donner de l’argent à un pauvre : si on commence par là, on risque de s’essouffler vite. La première priorité est d’ouvrir son cœur pour laisser Dieu y déposer son amour. C’est lui qui nous inspirera les actes à poser ensuite.

L’Eglise est dans son rôle lorsqu’elle dit d’ouvrir son cœur : car personne d’autre (en tout cas pas parmi les politiques) n’a cette mission.

Dernière chose à ceux qui ont entendu un prêtre parler de l’accueil des Roms et qui se sont dit : « Il n’a qu’à commencer ». Je suis d’accord avec vous : le prêtre lui-même doit ouvrir son coeur, et il a certainement plein de choses à se reprocher. Mais :

  1. il est sans doute plus pauvre que vous
  2. les salles de sa paroisse ne lui appartiennent pas, elles servent au catéchisme, à divers groupes de formation, etc.
  3. n’attendons pas que le prophète soit parfait pour entendre la vérité qu’il a charge de nous transmettre. Dieu a choisi Jonas, fainéant de très mauvaise volonté, pour inviter les habitants de Ninive à la conversion. Jésus a choisi Pierre, qui l’avait renié. Certes, ceux qui en chaire ou ailleurs nous incitent à changer de vie ne sont pas des saints. Est-ce que pour autant ce qu’ils disent est faux ?

Lisant La Virevolte de Nancy Huston, et me remémorant Nous sommes éternels de Pierrette Fleutiaux, j’ai été de nouveau frappé par la corporéité des personnages et des narrations, cette relation au corps complètement intégrée à l’existence, et qui ne me semble exister que chez des femmes écrivains.

Il y a autre chose encore. Les deux romans traitent de danseuses, et pour les deux personnages principaux, la danse est décrit comme l’épanouissement réel de l’être, comme si ce que le corps (et l’être entier) devient pendant la danse était ce à quoi tout corps (et tout être) est promis, comme son accomplissement et son épanouissement ultime.

En bref, pour ces deux femmes (les héroïnes des deux romans), la danse est la vocation de l’être.

J’ai le sentiment que, pour ma part, si je faisais de la danse, je vivrais chaque nouveau mouvement, chaque prouesse, comme une victoire personnelle sur mon corps, comme une victoire sur des obstacles, victoire issue de contraintes que je me serais imposé dans un noble objectif. Le plaisir ne serait pas dans la danse, dans le mouvement, dans la grâce, mais dans cette victoire même.

Le Christ nous dit que nous sommes tous appelés à la sainteté.

Et il est deux manières de voir cet appel : soit comme un noble objectif, qui ne s’obtient que par des contraintes toujours croissantes pour apprendre à plier ma propre volonté ;

ou comme la vocation évidente de ma vie.

Je souhaite pouvoir le vivre ainsi. Et il est certain que ce n’est pas à autre chose que le Christ m’invite.